Quand Frédéric Dard rétrospecte

Je rétrospecte pour bien me remettre dans l’œil les dédales de la prison. Ça vous chiffonne que je crée le verbe rétrospecter ? Faut pas, mes pommes, faut pas !

Ce qui manque à notre langage ce sont par-dessus tout des verbes. Le verbe c’est le ferment de la phrase, son sang, son sens, sa démarche. A partir de noms ou d’adjectifs, il est aisé d’en confectionner de nouveaux. Je vous engage tous (c’est aux jeunes que je cause, pas aux vieux kroumirs plus moisis que leurs manuels scolaires) à fabriquer du verbe pour que s’épanouisse notre langue. Ne vous laissez pas arrêter par la crainte de passer pour des incultes. Ce qui n’est pas français au départ le devient rapidement. Notre langue n’est pas la propriété exclusive des ronchons chargés de la préserver ; elle nous appartient à tous, et si nous décidons de pisser sur l’évier du conformisme ou dans le bidet de la sclérose, ça nous regarde ! Allons, les gars, verbaillons à qui mieux et refoulons les purpuristes sur l’île déserte des langues mortes !

D’ailleurs ça vient tout doucettement, ma marotte du néologisme. Un peu partout, on assiste à des naissances. Dans les films, dans les bouquins. Oh, c’est encore timide, mais y’a que le premier verbe qui coûte. Bientôt, on ne pourra plus prétendre que le verbe s’est fait cher. Le jour viendra qu’au bac on fera passer une épreuve de néologie. Coefficient mille ! La San-Antoniologie écrasera la philo, ridiculisera les maths. A bas Pythagore ! Il l’aura dans l’hypoténuse. On lui déniera le théorème. On le contestera, on le mettra en doute avant de l’oublier. Et tout ce qui subsistera de Samos, son pays natal, ce sera une marque de fromage.

© San-Antonio, Un Éléphant ça trompe, éd. du Fleuve Noir, Paris, 1968.

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